En profondeur avec Ashoka, le grand entretien - 01 2024

Ils et elles sont entrepreneur.e.s, mentor.e.s, dirigeant.e.s engagé.e.s... Partez à la rencontre de la communauté d'Ashoka France et découvrez leurs retours d'expérience d'acteurs de changement !

Grand Entretien

Franck Billeau : Bonjour, Franck Billeau, je suis fellow Ashoka depuis 2021 et j'ai le plaisir d'avoir deux grandes invitées aujourd'hui à l’occasion des 20 ans d'Ashoka. Bonjour Elsa Da Costa et Macha Binot, pouvez-vous vous présenter?

 

Macha Binot : Je m'appelle Macha Binot, je suis responsable de la communauté Ashoka France et je suis arrivée en février dernier auprès de cette team.

 

Elsa Da Costa : Quant à moi, je suis Elsa Da Costa, je suis la Directrice Générale d' Ashoka France depuis presque 3 ans maintenant.

 

Franck Billeau : Alors il y a 20 ans, vous n'étiez pas en responsabilité, mais pouvez-vous expliquer comment est né Ashoka en France ?

 

Elsa Da Costa : Ashoka est né de l'idée de Bill Drayton, le fondateur d'Ashoka Global qui a construit la première association dans les années 84-81. Il s'est aperçu qu'un nombre incroyable de personnes qui révélaient leur pouvoir d'agir et avaient un impact systémique à l'échelle de leur village, de leur population, notamment en Inde, pouvaient transformer profondément la société. Il s'est donc dit que comme ça existe en Inde, s'il développe dans tous les pays du monde une association qui va les promouvoir, les mettre en avant, peut-être qu'on aura ce fameux point de bascule pour avoir un monde meilleur. Il y a 20 ans, cette idée est née aussi avec Ashoka France qui a été fondée par Olivier Kaiser. Arnaud Mourot était le premier Directeur Général de Ashoka France, il est d'ailleurs toujours dans les murs d’Ashoka et s'occupe des partenariats business.
 

Franck Billeau : Alors Macha, depuis 20 ans, combien de fellows [entrepreneurs sociaux accompagnés par Ashoka] ont été repérés, identifiés et quels sont les principaux profils de ces fellows ?

 

Macha Binot : La France compte actuellement 81 fellows avec une particularité, c'est qu'après une sélection très importante, chaque fellow devient accompagné à vie par Ashoka. Nous en avons 81 à l'heure actuelle sur des thématiques aussi diverses que l'éducation, la jeunesse, l'alimentation, la démocratie... Vraiment, on touche à tout ce qui fait société parce qu'on réfléchit et qu'on pense chez Ashoka aux changements systémiques. Donc on ne peut pas faire les uns sans les autres, ni certaines thématiques et certains sujets sans les autres.

 

Franck Billeau : Elsa, quelle est votre principale mission chez Ashoka?

 

Elsa Da Costa : Faire rire l'équipe, c'est ma principale mission ! Non, notre mission, c'est de faire en sorte de révéler le pouvoir d'agir de tous les acteurs de la société et pas uniquement des entrepreneurs sociaux, mais aussi des collectifs, des jeunesses engagées, des entreprises aussi - celles qui souhaitent s'hybrider et vraiment résoudre les principaux problèmes de société. On aime beaucoup travailler avec nos entrepreneurs sociaux. Ce n'est pas toi Franck qui pourrait me contredire sur le sujet avec le beau partenariat avec EDF que nous avons pu monter ensemble. Et puis, l'objectif c'est de transformer les récits aussi, faire en sorte qu'aujourd'hui on n'ait plus une économie sociale et solidaire à côté d'une économie, mais qu'on ait une économie tout court. Parce que j'aime bien le rappeler : la racine du mot "économie", c'est la gestion de la maison. Je pense donc qu'il y a deux ou trois choses à faire en termes de gestion de la maison et auxquelles on peut largement contribuer avec toute la communauté d'acteurs engagés que nous fédérons.

 

Franck Billeau : Alors on l'entend bien, dans cette maison, il y a des ASN [mentors philanthropes], des gens qui viennent des entreprises, et puis il y a des gens qui ont des idées, aussi saugrenues soient-elles, et qui portent des projets d'économie sociale et solidaire. Est-ce que c'est pas un peu frustrant d'être entre deux types d'acteurs complètement différents, des entreprises qui ont un certain pouvoir et ces fellows qui essayent d'organiser un peu la société comme vous dites ?

 

Elsa Da Costa : Moi j'adore être au milieu, c'est fantastique de pouvoir être comme un décodeur Canal+ à essayer de s'adapter aux discours de tout le monde. Et puis surtout, nous sommes aussi et avant tout un entrepreneur social nous aussi chez Ashoka. L'avantage qu'on peut avoir, c'est qu'on est en capacité de pouvoir faire cohabiter ces deux mondes-là, de pouvoir les faire collaborer. Macha le rappelait tout à l'heure : la coopération, c'est fondamental. Seul, on ne fait rien. Et c'est justement en allant casser les représentations les uns sur les autres qu'on peut se permettre d'avoir des projets d'envergure pour vraiment transformer la société. Donc Macha est d'accord, on est plutôt contents d'être au milieu ?

 

Macha Binot : Oui et d'autant plus parce qu'Ashoka, depuis 20 ans, travaille aussi sur les narrations. Il y a actuellement un véritable changement de mentalité sur ces questions-là : sociales, sociétales, environnementales en France. Et effectivement, il y a un souhait, une appétence d'entreprises et des modèles plus classiques, mais aussi des entrepreneurs sociaux, de vouloir travailler ensemble pour justement faire changer les choses et changer les modèles.

 

Franck Billeau : Alors on sait que le changement ce n'est pas toujours simple. Sur les 20 dernières années, face à des contextes politiques, économiques, écologiques qui ont beaucoup évolué, comment vous voyez cette société qui peut se complexifier ? Quelle réponse apportent ces fellows, est-ce que vous voyez des générations de fellows évoluer ?

 

Elsa Da Costa : Le sujet c'est le dialogue. Je pense pour les années à venir donc, et ce n'est pas tout de le dire ni de le décréter, il faut être en posture de dialoguer. Cela veut dire déjà de bien se connaître soi, pour pouvoir faire en sorte de mieux accueillir l'altérité quelle qu'elle soit. Je ne parle pas uniquement de la partie conflit générationnel, mais aussi de quelqu'un qui vient de l'entreprise et qui n'est pas dimensionné de la même façon que quelqu'un qui décide de lancer une association. Et pour autant, ces deux parties prenantes, elles sont essentielles pour les enjeux de demain. Donc l'écoute, le dialogue, la mise en commun d'un réel commun. Parce que le sujet, il est là également. On parle beaucoup de récits collectifs, je pense qu'il y a surtout un récit commun à écrire ou à réécrire parce qu'il y a eu du commun avant dans la société. C'est donc ce vers quoi on tend avec Ashoka, en incluant toutes les parties prenantes dans la plupart des dispositifs qui doivent faire émerger des politiques publiques pour demain. A mon avis, c'est l'enjeu fondamental.

 

Macha Binot : Et si je peux me permettre de compléter avec deux autres mots, c'est qu'il faut accepter la complexité. C'est-à-dire que le côté binaire n'existe plus, il faut donc l'accepter et le comprendre. C'est Edgar Morin qui l'a très bien théorisé et je vous engage à vraiment écouter et relire ses travaux et peut-être aussi intégrer l'art de la nuance. C'est tout le travail que fait Ashoka, c'est d'accompagner justement de façon non polarisée. C'est ce qui fait qu'on arrive à un terrain commun qui est le terrain du dialogue entre les entrepreneurs sociaux et les entrepreneurs dits plus classiques.

 

Elsa Da Costa : C'est là où j'apporterai une toute petite nuance. Avec ce que nous allons traverser en 2024, une année où 4 milliards de personnes vont aller voter, c'est extrêmement important de garder ce qu'a cité Macha en tête avec des enjeux majeurs qui viennent percuter les nouvelles technologies, notamment la polarisation des opinions. Effectivement, il faut donc être dans cette nuance. Mais sur certains sujets, je crois que nous devons être beaucoup plus radicaux qu'avant.

 

Franck Billeau : Alors que d'engagements ! 20 ans déjà se sont écoulés, comment imaginez-vous l'équipe d'Ashoka France déjà dans 20 ans et peut-être probablement même Ashoka au niveau international ?

 

Elsa Da Costa : Je n'ose donner mon âge dans 20 ans ! Comment je nous imagine ? J'espère que ce qu'on posait sur la table tout à l'heure avec toi, c'est-à-dire d'avoir un monde où il n'y a qu'une seule économie, au service de l'intérêt général et du plus grand nombre, et non pas de besoins désirés ou fomentés par la publicité, sera le monde dans lequel on vivra en fait. En disant cela je pense surtout à nos enfants. De mon côté, j'ai envie d'une retraite paisible et dans 20 ans je pense que je serai à la retraite professionnelle, certainement pas la retraite de mes engagements bien entendu, mais c'est ce à quoi nous aspirons tous. Que l'on soit aussi dans un monde de paix, mais de paix individuelle d'abord, avant d'être dans une paix géopolitique, parce que tout est lié en réalité. Macha parlait de la complexité, de l'appréhension de ces enjeux-là, mais aussi il y a la notion de fractal, c'est à dire que tout est interconnecté. Donc si individuellement, on n'est pas dans cette compréhension de notre propre présence sur Terre, de notre propre finitude et de notre propre rôle dans ce grand Tout, je pense qu'on n'arrivera pas à résoudre les problèmes majeurs de société. C'est ce à quoi j'aspire : c'est qu'on ait une meilleure connaissance de soi. D'ailleurs, je plaide pour que dans toutes les écoles de France, on puisse avoir une matière dès la maternelle sur la connaissance de soi, et ce jusqu'au bac.

 

Franck Billeau : Macha dans 20 ans, comment imagines-tu Ashoka?

 

Macha Binot : Je l'imagine avec un rôle encore plus de "conseiller" vis-à-vis des territoires, vis-à-vis d'autres entrepreneurs, d'autres formes de public pour justement accompagner le changement. Parce que nous avons des expériences depuis 20 ans en France et 40 ans dans le monde, que le changement est possible, que les solutions sont là. Je pense qu'on aura, en tout cas je le souhaite, ouvert encore plus vers le rayonnement d'Ashoka, simplement pour montrer que la solution existe, qu'elle est là et surtout qu'elle fonctionne.

 

Franck Billeau : Alors avec vous, on le voit bien, le défaitisme n'a pas d'avenir. C'est l'espérance et la confiance qui vont marquer ces 20 ans d'Ashoka et on espère se retrouver bientôt pour fêter et souffler les 20 bougies ?

 

Elsa Da Costa : Et bien on se donne rendez-vous début 2025 ! Mais déjà toute l'année 2024, nous allons parler de notre contribution sur les 20 dernières années à tous les sujets dont nous parlions ensemble. Franck, je voulais te dire merci, tu nous as fait une superbe punchline : avec nous, le défaitisme n'existe pas. J'adore!

 

Franck Billeau : Merci à vous deux et à très vite.