Portrait : Haidar El Ali et Océanium

Haïdar El Ali - fellow du mois
Source: Haïdar El Ali - fellow du mois

Ce mois-ci, c’est Haïdar El-Ali, ancien ministre de l'environnement puis de la pêche au Sénégal et parrain de la promotion 2015 des Fellows Ashoka, qui prend la parole. Il revient notamment sur son parcours, sur l'évolution d'Océanium depuis 30 ans et sur l'engagement politique qu'il a pris au Sénégal. 

 

 

Pouvez-vous nous parler du chemin qui vous a mené jusqu’à Océanium ?

L’ensemble de mon parcours est lié au cadre de mon enfance. Je suis né au Sénégal où j’ai appris que mon grand-père était gaulois, j’ai été éduqué « à la française », dans une famille arabe, dans un pays où les gens dans la rue étaient noir. Très jeune j’étais déjà un citoyen du monde.

J’ai grandi dans la rue et dans la médina, avec mes copains, jusqu’à ce que je découvre la mer, un peu par hasard, à 12 ans. Quand je l’ai vue pour la première fois, moi l’enfant de la brousse, je l’ai trouvée tellement puissante et tellement grande qu’elle paraissait éternelle et indestructible. En fait il n’en est rien ; la mer peut être blessée même mourir. Avec un masque, j’ai sillonné les fonds marins, j’ai appris à aimer la mer, au détriment de mes études et du parcours scolaire « classique » d’un jeune de mon âge.

J’ai commencé ma carrière dans le commerce et j’ai créé une affaire florissante avec ma famille, mais je n’étais pas épanoui, donc j’ai tout quitté après quelques années. J’ai quitté mon confort, ma famille et je suis passé par une période d’introspection d’un an pour savoir ce que je voulais vraiment. Je suis revenu à mes premiers amours et je suis devenu plongeur. J’ai commencé à récupérer des pièces sur des bateaux qui étaient au fond de l’eau et je les revendais à des collectionneurs pour gagner ma vie. Malheureusement je me suis rendu compte que malgré moi, j’étais revenu au commerce, et ça ne m’intéressait toujours pas.

J’ai donc rejoint Océanium en 1985, un an après sa création. J’apportais un regard expert et passionné en complément de celui des scientifiques. J’ai beaucoup aimé la mer et quand on aime quelque chose, on ressent aussi le besoin de la protéger.

Quel était le rôle d’Océanium au Sénégal ?

Océanium a connu trois grandes phases : la première a duré environ 10 ans de 1985 à 1995. A cette époque, nous concevions notre rôle comme celui de gardiens de la mer et nous étions surtout dans la démonstration. Par exemple, dans les années 90, les pêcheurs sénégalais pêchaient à la dynamite et détruisaient la mer. J’ai alors décidé de filmer la mer en l’état pour montrer le côté brutal de cette pratique afin de sensibiliser l’ensemble de la population locale. Les pêcheurs ont arrêté d’utiliser de la dynamite et les choses ont avancé positivement.  

Après 1995, nous n’avons pas seulement voulu montrer aux gens ce qui était mauvais pour la mer, mais nous voulions aussi leur montrer le bon exemple. Pour cela il fallait proposer un modèle. Nous avons cherché à créer une aire marine protégée, pour en faire un lieu d’innovation. Nous avons été la première aire marine protégée à faire appel aux scientifiques pour qu’ils fassent un état des lieux de départ de la biodiversité dans ce lieu. Cet état de référence a permis de mesurer le changement année après année et donc de mesurer concrètement l’impact de la protection sur la biodiversité et l’écosystème marin. Les premières années, les chiffres étaient les mêmes, mais au bout de 5 à 6 ans, on a vu une explosion incroyable de la diversité des espèces marines. Des ONG internationales, la Banque mondiale, ont à leur tour voulu suivre notre exemple. Nous avions créé un système économique autour de l’aire marine, avec des éco-camps, payants pour les touristes, qui permettaient de rémunérer les gardes de l’aire marine ainsi que les populations locales. En plus de protéger la mer, nous apportions de la valeur sur terre, ce qui a fait le succès de notre projet.

Au milieu des années 2000, nous avons voulu sortir du « tout-marin », pour préserver aussi l’écosystème terrestre et proposer un modèle de protection complet. Nous avons sillonné le Sénégal pour sensibiliser les populations à la protection de la biodiversité. Notre plus grand succès a été la restauration de la mangrove. A cette époque, les champs de riz étaient détruits par le sel et les populations nous sollicitaient pour faire une digue anti-sel. Nous leur avons montré que c’était la destruction de la mangrove qui amenait ce problème de sel et qu’il fallait s’attaquer à la cause et non pas seulement s’occuper de la conséquence. De 2006 à 2010, notre impact a été exponentiel, nous sommes passés d’un village à 428 villages et de 65 000 à 52 millions de palétuviers plantés, ce qui a permis de reconstituer l’écosystème local. Comme nous l’avons fait pour l’aire marine, notre objectif était aussi de participer à l’essor économique du territoire. Pour cela, nous avons réussi à monter un réseau de chefs de zones et de coordinateur qui s’occupaient de la distribution des ressources pour planter la mangrove et s’assuraient de l’implication des populations locales. En plus de sauver la mangrove et de préserver les récoltes des paysans, nous avons pu créer de la valeur sur place.

La vraie réussite d’Océanium a été de faire comprendre l’écosystème aux habitants, de changer leur manière de voir et de penser à la nature. Ils n’étaient plus passifs mais actifs dans la protection de la nature et ils se sont rendus compte que la protection de la nature était aussi dans leur intérêt.

Pourquoi vous êtes-vous engagé en politique?

La médiatisation grandissante de nos projets, avec des médias internationaux comme CNN, BBC ou RFI, nous a fait comprendre que s’il est important d’agir, il faut aussi des personnes qui se consacrent à parler de nos combats. Il m’a alors semblé nécessaire d’agir aussi sur le plan politique et c’est pour cela que nous avons participé à l’émergence de l’écologie politique au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. L’écologie politique est maintenant un phénomène accepté en Afrique de l’Ouest car nous avons eu des élus locaux, mais aussi des ministres (NDLR : Haïdar a été ministre de l’environnement puis ministre de la pêche de 2012 à 2013).

Si je me suis engagé, c’est aussi pour lutter contre la corruption qui fait mal à la société sénégalaise mais aussi à sa biodiversité. J’ai combattu la corruption au quotidien, notamment concernant l’exploitation des forêts, où les permis de passages de camion étaient délivrés sous le manteau, ce qui faisait que la forêt était surexploitée. La corruption est telle que cela ne dérange personne que le président des exploitants des forêts sénégalais peut annoncer à la télévision qu’il s’est toujours arrangé avec les précédents ministres… Je n’ai pas accepté cette corruption et j’ai eu des problèmes pour avoir dit non. C’est aussi pour cela que je me suis engagé, pour montrer qu’on n’est pas obligé d’être corrompu pour faire avancer les choses et qu’il y a d’autres manières de faire de la politique.

Comment imaginez-vous le futur pour l’écologie ?

Le problème est que notre monde est basé sur l’accumulation des biens et le voyeurisme de la richesse en pensant que l’on peut croître indéfiniment sur une planète où les ressources sont limitées. Notre société est en tel déphasage avec l’écosystème que nous mettons en danger la planète entière.

Le changement de modèle n’aura lieu que si on trouve des solutions innovantes qui nécessitent peu de moyens financiers. En effet, si un modèle demande trop de moyens, s’il est complexe, alors il a besoin de l’apport des politiques et des financiers, ce qui fait qu’il devient une partie du problème au lieu d’être une solution.

Je pense que la solution se trouve  dans une implication d’un maximum de personnes grâce à une méthode participative, duplicable et durable. Je crois que ce type de solution est encore possible, mais plus pour longtemps.

Si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent être Acteurs de Changement, c’est que la solution est près de nous, elle est en nous, dans la générosité, l’amitié, le partage avec l’autre. Si on arrive à comprendre que l’écosystème n’est pas là pour nous servir, mais qu’il existe en tant que tel, ce sera une grande victoire !


>> Retrouvez ici d'autres histoires d'entrepreneurs sociaux