Changemaker School de Tourouzelle : une école où curiosité rime avec liberté !

Florian Loupiac
Source: Florian Loupiac

Réinstaurer l’envie d’apprendre en rendant l’enfant libre de ces apprentissages. Florian Loupiac, professeur de l’école primaire de Tourouzelle (Aude), a révolutionné sa façon d’enseigner.

Lorsqu’il obtient son concours de professeur des écoles en 2004 et commence à enseigner en école primaire, Florian reproduit le schéma de l’éducation traditionnelle, telle qu’il se l’est toujours représentée : les élèves, assis en rang d’oignon, écoutent un professeur, lèvent la main, demandent l’autorisation, ont des lignes quand ils perturbent la classe et doivent appliquer les règles qu’on leur impose. Mais très vite, il remarque l’inefficacité de cette méthode d’enseignement frontal : les professeurs de collège se plaignent que beaucoup d’élèves ne maîtrisent pas les fondamentaux lors de leur arrivée en classe de 6ème. Pourtant, les fondamentaux, Florian les ressasse semaine après semaine, de la grammaire aux mathématiques, sans réussir à empêcher les décrochages.

Insatisfait de ces résultats, seul enseignant d’une petite école primaire communale, Florian remet en question sa manière d’enseigner, mais se heurte au manque d’espaces de discussion au sein de la profession, ainsi qu’à son propre manque de connaissances sur les techniques pédagogiques. Jusqu’au jour où un collègue d’une autre commune lui parle de l’idée de la salle de classe comme lieu d’apprentissage naturel et d’expression libre des enfants. C’est alors la première fois que Florian entend parler d’une pédagogie différente. Suite à des lectures et à de nombreuses discussions sur des sites de discussions en ligne, il comprend que l’école repose sur une mine d’or inexploitée : la curiosité naturelle de l’enfant. Il réalise que faire confiance à cette curiosité et la laisser s’exprimer librement pourrait permettre de réengager ses élèves dans leurs apprentissages, en les replaçant au centre et à la source de leur propre éducation. Il se lance alors sur la voie du changement. 

Lâcher prise, et tout déconstruire

Florian vit ces découvertes comme une profonde remise en question et fournit un intense travail sur lui-même, questionnant profondément son approche du rôle d'enseignant. « Il m’a fallu lâcher prise, et pour ça d’abord tout déconstruire. Ces changements en profondeur m'ont même amené à modifier ma façon d’éduquer mes propres enfants et de concevoir ma vie de famille » confie-t-il.

Expérimenter, pas à pas

Sa première tentative de changement est radicale : il supprime les horaires au sein de la journée de classe et donne la totale liberté aux enfants de mener leurs propres projets, de se déplacer dans la classe, de suivre leur curiosité. Manquant de formation adéquate et de collègues avec qui échanger, il reconnait avoir « agit dans sa bulle », sans considération envers les attentes des enfants et des parents. Ces derniers opposent immédiatement une résistance à l’initiative et Florian n’a d’autre choix que de revenir en arrière. Il comprend alors que le changement doit être préparé en amont, et qu’il n’ira nulle part sans le soutien d’une majorité des parents.

Ecole de tourouzelle 1

 

L’enfant, source de son propre apprentissage

Suite à ce premier échec, Florian réinstaure des matinées d’apprentissage des fondamentaux, pour rassurer les parents. Les activités des enfants sont individualisées ce qui permet à chacun d'avancer à son rythme dans ses apprentissages. Parallèlement, il travaille à faire s'interroger les parents sur ce que l'école doit apporter à leurs enfants.  

Déterminé à rester cohérent avec ses convictions, il maintient des après-midis basés sur des projets libres, conçus et menés par les enfants. Ils apprennent à lire, mais lisent ce qu’ils veulent. Les formules mathématiques, ils les découvrent seuls en menant des petits projets de recherche. Ils sont libres de s’intéresser au cinéma ou à la biologie, de passer d’un atelier à l’autre. Dans ce contexte, tout peut être source d’apprentissage. Et Florian en observe rapidement les résultats : les anciens décrocheurs se réengagent dans la salle de classe et retrouvent confiance en eux, et les plus avancés voient leur envie d’apprendre réalimentée. Tous les niveaux, du CP au CE2, sont mélangés.

Tourouzelle 2

Les règles de la vie de groupe sont fixées par les enfants eux-mêmes, lors d’un conseil des élèves. Naturellement, les enfants s’autogèrent et comprennent la nécessité d’instaurer des règles pour éviter les comportements perturbateurs. Elles sont ainsi facilement respectées. En devenant acteurs de leur apprentissage, les élèves acquièrent naturellement les compétences essentielles au monde qui les attend : la prise d’initiative, l’autonomie, l’écoute, la discussion, la collaboration, la persévérance.

Faire face au manque de formation

Selon Florian, la demande des enseignants pour ce type de pratiques est immense, mais l’offre de formation pas adaptée. Alors lui et certains de ses collègues ont sonné à la porte de syndicats d’enseignants, qui leur ont donné carte blanche pour organiser des stages de formation sur le temps scolaire. 48 heures, 3 fois par an, toujours prises d’assaut. L’important, nous dit Florian, c’est de « déconstruire certaines idées préconçues de ce qu’est l’éducation, de lâcher prise et d’être prêt à expérimenter ». Mais une fois le déclic arrivé, le travail sur soi-même requiert un soutien, tant au niveau institutionnel que personnel, qui a parfois manqué à Florian.

Le changement doit passer par l’école publique

L’instituteur de Tourouzelle a conscience des difficultés à changer l’école publique, de l’aversion au changement d’une institution qui décourage nombre de ceux qui s’y frottent. Il sait qu’il serait plus simple de mener ce changement dans une structure indépendante, mais s’y refuse. « Même si le changement est lent, il faut que les enseignants motivés restent dans le public. L'éducation nationale se doit d'offrir à tous les enfants des enseignants aux pédagogies différentes, aussi bien traditionnelles qu'alternatives, quelles qu'elles soient. Il existe autant de manière de « faire la classe » que d'enseignants, tant l'acte d'enseigner est personnel. Par contre, l'éducation nationale devrait reconnaître, soutenir et encourager ces initiatives alternatives. Ce qui n'est pas le cas. Trop de collègues aux approches différentes sont contraints de quitter l'enseignement public afin de monter leur propre structure, seule solution pour pouvoir enseigner selon ses propres convictions. Le problème, c'est que toutes les personnes n'ont pas forcément l'éclairage sur l'éducation, ni les moyens d'inscrire leurs enfants dans de telles structures ». Le changement nécessitera donc une ouverture à la diversité des pratiques, qui enrichira la réflexion sur l’éducation de demain.


L’école communale de Tourouzelle a rejoint en 2015 le réseau des Changemaker Schools, créé par Ashoka pour identifier, connecter et mettre en lumière les établissements scolaires qui cherchent à faire émerger la prochaine génération d'acteurs de changement. 

Visionnez le micro-reportage réalisé fin 2015 au sein de l'école de Tourouzelle :

 

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