Vincent Legrand
Ashoka Fellow depuis 2014   |   France

Vincent Legrand

Doremi
En raison de leur mauvaise isolation thermique, 10% de la consommation totale d'énergie en France provient des maisons individuelles construites avant 1975. En structurant une solution…
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IDEE
En raison d’une mauvaise isolation, les maisons d’avant 1975 engloutissent 10% de la consommation totale d’énergie en France, ce qui génère gaspillage économique, précarité énergétique et inconfort. En structurant l’offre de rénovation thermique performante à grande échelle, Vincent Legrand et ses partenaires transforment ce problème en opportunité économique et environnementale, grâce au dispositif DORéMI. Ce dispositif conduit les artisans à se constituer en groupements, à monter en compétences sur la rénovation performante et à optimiser les prix des travaux pour rendre la rénovation finançable. Sous l’égide de la collectivité, avec ses partenaires et acteurs de la rénovation, DORéMI rend accessible le marché de la rénovation thermique performante pour les ménages en maisons en proposant une offre simple, complète, abordable et efficace.


IMPACT
DORéMI est aujourd’hui déployé sur 25 territoires dans 5 régions, avec 92 groupements formés ou en formation (plus de 750 artisans en formation). Grâce à l’optimisation des prix de la rénovation performante et à la baisse des consommations de chauffage (division par 4 à 6), le dispositif permet de transformer des factures de chauffage avant travaux en mensualités de prêt d’un montant équivalent après travaux.


QUI EST-IL ?
Fils d’artisan du bâtiment, ingénieur en physique et diplômé de Sciences Po Paris, Vincent prend conscience de la nécessité de changer de modèle énergétique après un démarrage dans le nucléaire. Il est le cofondateur et président de l’Institut négaWatt, incubateur de projets pour la transition énergétique, au sein duquel le dispositif DORéMI est né en 2015, avant de devenir une branche autonome fin 2017 et devenir DORéMI SAS Solidaire, dont Vincent Legrand est aujourd'hui président.

This description of Vincent Legrand's work was prepared when Vincent Legrand was elected to the Ashoka Fellowship in 2014.

Introduction

En raison de leur mauvaise isolation thermique, 10% de la consommation totale d'énergie en France provient des maisons individuelles construites avant 1975. En structurant une solution d'approvisionnement à grande échelle pour la rénovation thermique, Vincent Legrand transforme cet enjeu en une opportunité sociale, environnementale et économique.

L'idée nouvelle

Contrairement à tous les efforts existants qui visent à inciter la demande, Vincent est le pionnier d'une approche opérationnelle à grande échelle pour structurer l'offre de rénovation thermique des maisons individuelles et ouvrir ce marché inexploité. La solution DORÉMI repose sur une double stratégie : 1) former les constructeurs indépendants aux techniques de rénovation durable et 2) les regrouper localement pour mieux négocier avec les fabricants de matériaux et proposer aux propriétaires une offre de rénovation simple et globale à un coût raisonnable. Ayant un effet sur la chaîne d'approvisionnement, Vincent débloque le marché : les constructeurs réduisent leurs coûts et sont prêts à explorer la rénovation durable comme une nouvelle opportunité économique ; les propriétaires ont accès à une offre simplifiée et à coût raisonnable ; et un impact environnemental maximisé est généré en remplaçant la rénovation incrémentale par un processus de rénovation globale.

Face à la nécessité de réduire la facture énergétique, la dépendance aux énergies fossiles et les émissions de gaz à effet de serre, les collectivités locales sont chargées de la transition énergétique mais n'ont pas de solution opérationnelle. Vincent les engage à s'appuyer sur la solution DORÉMI et à la démultiplier. En effet, en faisant des collectivités territoriales les maîtres d'ouvrage du projet, il renforce la confiance dans le modèle en garantissant son indépendance vis-à-vis des intérêts privés investis. Il obtient ainsi l'adhésion des différentes parties prenantes, depuis les constructeurs et les fabricants de matériaux jusqu'aux propriétaires. Les partenariats avec les collectivités locales permettent également une stimulation externe de la demande, tout en donnant à Vincent les moyens financiers et la légitimité pour former les constructeurs et les obliger à baisser leurs prix au maximum. Avec DORÉMI, les régions dépassent la complexité de la question et soutiennent une solution très efficace pour l'environnement, en réduisant de 4 à 6 fois la consommation de chauffage.

Positionnant d'emblée DORÉMI comme une solution d'envergure nationale, Vincent ne se contente pas d'une expérimentation régionale. Au niveau français et européen, il démontre le potentiel économique de sa solution pour passer d'un modèle basé sur les énergies fossiles à des énergies renouvelables afin d'adopter de nouvelles législations et de réaliser la transition énergétique d'ici 2050.

Le problème

Les bâtiments représentent 45 % de la consommation d'énergie en France, essentiellement pour le chauffage. Plus précisément, 10 % proviennent des 7,4 millions de maisons individuelles construites avant 1975 (année de la première réglementation sur l'isolation thermique) qui présentent d'importantes déperditions d'énergie.

Pourtant, malgré certaines politiques publiques visant à inciter les propriétaires à améliorer l'isolation de leur maison, très peu d'entre eux se lancent dans des travaux de rénovation, ou lorsqu'ils le font, ils optent pour des travaux partiels.

Le processus est long, complexe et coûteux pour un propriétaire qui doit identifier cinq ou six corps de métiers différents, obtenir un devis raisonnable et piloter les travaux. En outre, malgré leur existence, la multiplicité et la complexité des subventions nationales et régionales les rendent très difficiles d'accès.

D'autre part, la plupart des constructeurs n'ont pas de connaissances ni de compétences en matière de matériaux et de techniques respectueux de l'environnement. Les quelques constructeurs certifiés en matière d'économie d'énergie pratiquent des prix supérieurs à ceux du marché et leurs solutions n'ont pas toujours d'impact sur l'environnement - par exemple, ils n'offrent pas un chauffage électrique très efficace. De plus, ces constructeurs sont indépendants - seuls 15 % d'entre eux appartiennent à des fédérations professionnelles. Ils n'ont pas l'habitude de travailler ensemble et assurent donc individuellement une partie des rénovations sans se concerter. Les rares interlocuteurs qu'ils ont sont les producteurs et fournisseurs de matériaux de construction, ainsi que les autorités publiques locales.

La question de la rénovation des logements est également prise en compte au niveau politique. Les maisons individuelles représentent 65% de l'immobilier en France et sont au cœur du débat national sur les économies d'énergie. Au-delà de la crise environnementale, le gouvernement est confronté à un problème croissant chez les Français : la précarité énergétique, qui touche 3,5 millions de ménages qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus à leurs factures d'énergie. Des actions commencent à voir le jour, comme l'appel de l'actuelle ministre du logement à rénover 500 000 logements d'ici 2017 et la création de centres régionaux d'information et de services pour la rénovation. Des subventions publiques existent également pour encourager les propriétaires à rénover, mais elles se sont accumulées au fil du temps et le processus pour les obtenir est si complexe qu'elles sont sous-utilisées. Mais toutes ces initiatives butent sur le manque de structuration de la chaîne d'approvisionnement. Une fois de plus, elle ne peut avancer que par des rénovations progressives et plus coûteuses en termes de ressources.

Plus avancée dans sa transition vers un modèle basé sur les énergies renouvelables, l'Allemagne a fait le calcul : 1 € investi dans la rénovation thermique génère 2 à 4 € de recettes fiscales pour l'Etat. Après les efforts sur la demande, la France doit maintenant investir dans la chaîne d'approvisionnement de la rénovation thermique.

La stratégie

Vincent commence par structurer des formations pour les constructeurs individuels locaux. L'objectif n'est pas seulement d'expliquer les techniques de rénovation énergétique, mais aussi de les responsabiliser, de leur donner une légitimité et de construire un avantage concurrentiel dans la transition énergétique. Grâce à des sessions théoriques et pratiques réalisées avec son partenaire stratégique Enertech, une référence française en matière de techniques de rénovation énergétique, Vincent donne aux constructeurs les moyens de rénover efficacement, avec une capacité à « penser global » : travailler avec d'autres constructeurs, mettre en place une offre collective, combiner les savoir-faire et réduire les coûts.

Pour maximiser les impacts économiques et environnementaux, Vincent concentre les formations sur des techniques de rénovation peu gourmandes en temps et en main d'œuvre, tout en assurant un travail simultané sur les murs, les toitures, les revêtements de sol et la charpente.

L'organisation de Vincent, DORÉMI, joue un rôle clé en tant que coordinateur général. Du côté des constructeurs, DORÉMI assure le suivi des formations et leur mise en pratique sur les chantiers, mais aussi facilite le regroupement des constructeurs et pilote l'ensemble des chantiers, en apportant une aide financière et technique en cas de besoin. Du côté des propriétaires, DORÉMI souligne l'impact économique et environnemental de sa solution pour les convaincre de commencer à rénover leurs maisons, puis simplifie le processus en étant le point de référence unique pour tous les constructeurs engagés. À l'aide d'un logiciel facilitant la prise de décision, les différentes options de rénovation sont combinées pour obtenir une solution globale optimisée d'un point de vue financier et environnemental. Tous les devis sont regroupés en une seule proposition et DORÉMI devient le porte-parole du groupe.

Créant les conditions du succès de part et d'autre, Vincent s'appuie sur le marché de la rénovation et crée un fort impact environnemental avec une consommation de chauffage divisée par 4 à 6. Pendant deux ans, Vincent s'est concentré sur l'expérimentation de contenus et de méthodologies pour les formations à la rénovation avec son partenaire Enertech, avec un impact sur 6 000 constructeurs, architectes, ingénieurs environnementaux, etc. En 2012, il a lancé le pilote de sa solution intégrée DORÉMI et 70 constructeurs ont déjà été formés et regroupés.

Le point d'entrée pour la mise en œuvre de DORÉMI au niveau local est un partenariat avec les autorités régionales. Vincent leur apporte une solution clé en main pour la rénovation à fort impact environnemental, en échange de l'investissement de leurs ressources pour coordonner la diffusion du modèle et pour payer une partie des formations et de la coordination générale par DORÉMI. De plus, en gardant ses actions centrées sur la chaîne d'approvisionnement, Vincent met ses partenaires régionaux en charge de la demande en communiquant sur la solution dans leurs territoires. Ils identifient les propriétaires prêts à rénover et les aident à accéder aux subventions publiques existantes pour la rénovation écologique. Quatre régions se sont déjà engagées et ont commencé à tester DORÉMI : Rhône-Alpes, Bourgogne, Alsace et Centre. Les circonstances différentes de ces régions - de très urbaines à très rurales - permettent à Vincent de tester et de piloter son modèle dans des situations variées et d'élaborer des méthodologies adaptées à chaque territoire.

DORÉMI fait partie de l'association à but non lucratif Négawatt, qui élabore des scénarios sur la transition du modèle énergétique français. Vincent a contribué au dernier scénario, qui a été reconnu par l'Agence nationale de l'environnement et de l'énergie (ADEME). Le plan souligne l'importance de la rénovation globale pour atteindre l'objectif de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050. Il démontre également l'opportunité économique pour l'Etat d'investir dans la rénovation. En effet, la rénovation est rentable et permettrait de générer 9 milliards d'euros par an pendant 30 ans, dont des millions de taxes publiques.

Parallèlement à ses actions de plaidoyer, Vincent développe DORÉMI de manière autonome et avec une attention particulière au facteur clé de succès de son modèle : construire et financer un modèle de « formation des formateurs » pour pouvoir former rapidement les constructeurs sur l'ensemble du territoire. La reconnaissance de ses formations dans la nouvelle législation sur les certificats d'économie d'énergie est en cours. Il a également saisi l'opportunité de travailler avec l'Union européenne, qui a mis en place le programme « Build-up Skills » pour organiser la formation des constructeurs aux techniques écologiques dans chaque pays européen.

La personne

Vincent est passionné par l'énergie et par la façon dont nous pouvons changer de système. Ses expériences professionnelles et personnelles lui ont permis d'acquérir une reconnaissance et une légitimité dans le secteur. Après des études de physique fondamentale, son premier emploi dans le secteur de l'énergie nucléaire au Texas lui fait rapidement prendre conscience qu'une alternative doit être trouvée. Il arrête ses études pour compléter son cursus par un master de deux ans en développement local durable, avant de s'engager auprès d'un acteur majeur du plaidoyer sur la transition énergétique : l'agence WISE, le World Info Service on Energy.

Parallèlement à son travail, il est en train de rénover lui-même sa propre maison, montrant un intérêt croissant pour les techniques de construction écologique et pour la découverte de ce marché et de ses enjeux.

Après avoir passé trois mois en Inde à travailler avec le GERES (Groupement pour l'environnement, les énergies renouvelables et la solidarité) sur des projets locaux liant les énergies renouvelables à la société, il a commencé à réfléchir à la notion émergente de développement durable. Il s'est rendu compte que les sociétés des pays en développement adoptaient parfois une approche plus durable du développement que celles des pays développés.

De retour en France, il se concentre donc sur des projets qui font le lien entre la durabilité et le développement local. Il dirige plusieurs projets impliquant des acteurs d'horizons divers et réussit à les faire collaborer, comme dans le cas du projet Life Promesse visant à préserver les ressources naturelles dans le sud de la France. Il travaille également avec le WWF sur un projet pilote territorial portant sur la gestion des déchets, le logement et les transports, ce qui lui confère une solide connaissance du secteur et renforce sa capacité à mobiliser différents partenaires avec lesquels collaborer.

En 2005, il rejoint l'association Negawatt, une association indépendante phare qui construit des scénarios pour réaliser notre transition énergétique. Vincent apporte ses compétences visionnaires en tant que bénévole pour construire le premier scénario et le défendre auprès du gouvernement. Après quatre ans, Vincent a décidé avec pragmatisme de lancer l'Institut Négawatt, le laboratoire opérationnel de l'association. L'objectif de l'Institut est de mettre en œuvre des projets et de mener des tests sur le terrain pour prouver la pertinence du scénario, mais aussi d'initier le changement de modèle énergétique. C'est aussi un moyen de consolider le modèle économique de l'association, en générant des revenus par le biais de formations et de pilotes locaux. Avec l'idée de DORÉMI et de la rénovation thermique des maisons individuelles, Vincent développe le premier projet concret de l'Institut avec des objectifs ambitieux.