Introduction
Il n'y a que 2 000 neurologues pour s'occuper de plus d'un million de personnes vieillissantes atteintes de maladies cognitives et il n'y a pas d'historique de gestion des soins en France, ce qui entraîne d'énormes goulets d'étranglement dans le système de santé et de terribles conséquences sociales et psychologiques pour les patients et leurs familles. En créant une chaîne d'intervention radicalement nouvelle qui commence dès les premiers signes de la maladie, Bénédicte Défontaines donne aux patients, aux familles et aux professionnels de la santé les outils nécessaires pour gérer humainement les situations, et donne à la société les moyens de réduire les risques et les coûts associés aux maladies cognitives.
L'idée nouvelle
Pour permettre aux patients et à leurs familles de gérer les quinze années au cours desquelles les maladies cognitives prennent progressivement le dessus sur la vie des patients, Bénédicte a conçu et lancé la première chaîne de valeur intégrée de détection précoce, de soutien psychologique, de prévention des risques et de soins médicaux. Elle rompt ainsi avec un système surchargé qui ne détecte la maladie qu'à un stade avancé et ne peut offrir que des soins palliatifs, et ajoute dix années supplémentaires pour que les patients et les familles se préparent psychologiquement, gèrent les risques et fassent des choix sur la manière de gérer leur état.
Bénédicte est en train de transformer une approche entièrement médicale et hospitalière de la prise en charge des maladies cognitives en faisant appel à un large éventail de professionnels médicaux et non médicaux. Ainsi, elle forme les médecins de famille et les pharmaciens à détecter les signes précoces de dégradation cognitive ; elle fait appel à des neuropsychologues pour effectuer des tests courts et légers en dehors de l'hôpital et confirmer le risque de maladie ; elle n'implique les neurologues et les institutions médicales que lorsque cela est nécessaire ; et elle offre aux patients et à leurs familles un large éventail de soutien psychologique et de préparation afin de renforcer leur résilience. Elle tire également parti de la technologie de la télémédecine pour mettre sa solution à la disposition des habitants des zones rurales et des « déserts médicaux ». Elle multiplie ainsi de manière exponentielle la capacité et la qualité du système de santé pour répondre à un besoin croissant.
Bénédicte place les expériences et les besoins des patients et des aidants au centre de son modèle tout au long de cette chaîne de valeur, car les maladies cognitives restent « taboues » et contribuent à l'isolement et à la souffrance. Par exemple, des études montrent que l'espérance de vie des aidants est en moyenne inférieure de dix ans à celle de la population générale. Bénédicte reconnaît leurs difficultés, leur offre une plateforme d'expression et leur apporte des solutions et un soutien adaptés. Elle veille également à ce que son approche soit accessible à tous en s'assurant qu'elle est remboursée par le régime national d'assurance maladie et en développant des approches spécifiques, adaptées à la culture et à la langue des populations à faibles revenus, analphabètes et immigrées.
Le problème
Au fur et à mesure que nous vieillissons, nous sommes tous confrontés au risque de développer une maladie cognitive à un moment ou à un autre de notre vie. Entre 50 et 70 ans, on peut commencer à marcher plus lentement et à avoir moins de réflexes ; on peut commencer à oublier les petites tâches de la routine quotidienne et les détails de ce qui s'est passé plus tôt dans la journée. Les premiers signes seront probablement très légers, et l'on pensera ou l'on dira que l'on est simplement fatigué ou que l'on a trop de choses en tête. Avec un peu de chance, on peut éviter les accidents domestiques ou de voiture pendant quelques années, et se nourrir suffisamment pour ne pas souffrir de trop de problèmes de santé. Jusqu'au jour où, une dizaine d'années plus tard, la personne aura perdu ses capacités au point de perdre son autonomie et de dépendre de sa famille, et à ce stade, les médecins finiront par l'envoyer à l'hôpital pour qu'il subisse une batterie de tests neurologiques.
Parce qu'il n'y a que 2 000 neurologues en France et qu'ils sont les seuls reconnus par l'assurance maladie et habilités à poser un diagnostic, le délai pour obtenir un rendez-vous est susceptible d'être de l'ordre de 24 mois. Deux années au cours desquelles la situation des malades ne cesse de se dégrader et les aidants ont de plus en plus de mal à gérer la situation, avant d'entendre enfin la sentence irrévocable : « Vous êtes atteint de la maladie d'Alzheimer » ou d'une autre maladie cognitive. À ce moment-là, il est le plus souvent trop tard pour que les patients puissent prendre une décision concernant les soins et la succession, et le fardeau des aidants est extrêmement lourd. Ils peuvent trouver des groupes de soutien où tout le monde se trouve dans des situations similaires et désespérées, mais cela ne les aidera guère à trouver un moyen satisfaisant de faire face à la maladie.
La situation des patients est encore plus compliquée s'ils vivent dans des zones rurales où le seul accès aux soins médicaux est assuré par des médecins de premier recours, peu ou pas formés aux maladies cognitives, ou s'ils sont analphabètes ou ne parlent pas français, ce qui les empêche d'effectuer les tests standard. Dans de nombreuses situations, les contextes familiaux et culturels rendent inimaginable le fait d'en parler et d'y être confronté.
Ces scénarios sont une réalité pour environ 30 000 Français diagnostiqués chaque année (soit un total d'un million de patients), et pour des millions de personnes en Europe : les tabous sur le vieillissement et les maladies liées au cerveau restent profondément ancrés ; il y a peu d'histoire ou de culture de la prise en charge, et une forte pénurie de professionnels de la neurologie. L'impact est dramatique pour les patients, qui n'ont aucun pouvoir de décision, pour les familles et les soignants, dont le rôle a de lourdes conséquences sur leur santé psychologique et physique, et pour la société en général, car les systèmes de protection sociale supportent le coût d'une intervention tardive et de l'absence de mécanismes de prévention.
Il existe cependant plusieurs possibilités de changement. De nouvelles professions émergent avec le potentiel d'alléger la situation des patients et des familles, telles que la neuropsychologie et les soins professionnels ; les systèmes d'assurance publics et privés envisagent des mécanismes de prévention et de soins précoces ; et la recherche cherche à développer des réponses thérapeutiques et chimiques aux maladies cognitives. Le défi consiste à donner aux patients les moyens d'entrer en contact avec eux.
La stratégie
Bénédicte transforme radicalement la vie de milliers de patients et d'aidants grâce à Alois, l'approche en réseau qu'elle a conçue et qu'elle met en œuvre depuis 2004. Pour que cela fonctionne, elle fait appel à la nouvelle profession émergente de neuropsychologue ; elle a obtenu le soutien du système d'assurance publique pour rembourser tous les frais de prévention et de soins, même s'ils sont dispensés par des professionnels non médicaux ; elle relie la recherche aux données et aux patients ; et elle inclut les patients et les aidants pour qu'ils puissent s'exprimer et jouer un rôle tout au long de la chaîne de valeur.
Dans ce nouveau modèle, un patient qui présente les premiers signes d'une maladie cognitive se verra probablement conseiller de contacter Alois par son médecin ou son pharmacien, qui a été formé à la détection des premiers symptômes. Il peut passer un simple appel téléphonique à une plateforme qui répond à ses questions et l'oriente vers un neurologue de sa région, en dehors de l'hôpital. Un délai moyen de trois mois est généralement nécessaire pour fixer un rendez-vous qui permettra de juger de la gravité de l'état du patient et, le cas échéant, de l'orienter vers un neuropsychologue qui effectuera un simple test pendant deux heures, gratuitement. Cette approche très légère contraste fortement avec le système hospitalier, où la prise de rendez-vous nécessite jusqu'à deux ans et où les tests durent deux jours entiers, ce qui peut être traumatisant. S'il s'avère que ces signes précoces sont effectivement des risques de maladie cognitive, ce qui est le cas dans environ 50 % des cas, les patients sont alors invités à passer des tests plus complets à l'hôpital ou chez un neurologue privé, en fonction de leur localisation et de l'avancement de la maladie.
Plus récemment, Bénédicte a ouvert son approche aux patients des zones rurales : elle expérimente la manière dont ils peuvent subir ces tests virtuellement sous la supervision de leur médecin, en coordination avec un neurologue du réseau Alois. Elle développe également une approche culturelle pour les populations immigrées et à faibles revenus de la région parisienne : s'ils ne savent ni lire ni écrire, et/ou s'ils ne parlent que l'arabe, les patients peuvent accéder à des tests adaptés près de chez eux et à une prise en charge psychologique et médicale pertinente.
Tout au long de ce processus, les patients et les aidants sont orientés vers des groupes de soutien psychologique et de discussion, soigneusement conçus et organisés avec des neuropsychologues. Avec eux, ils apprennent à quoi s'attendre, comment gérer la maladie au quotidien et comment réduire les risques. Ils ont également accès à des oreilles bienveillantes, à des astuces simples et à des conseils utiles. Et surtout, ils ont encore quelques années devant eux pour profiter de leurs souvenirs et de leur famille, et prendre des décisions importantes pour la suite de leur vie.
Pourtant, Bénédicte est consciente qu'un diagnostic de maladie cognitive équivaut à une condamnation à mort, en l'absence de traitement et de médicaments efficaces. Une partie du problème réside dans le fait que les patients sont diagnostiqués tardivement et ne peuvent entrer dans les protocoles de recherche qu'à des stades très avancés de la maladie, ce qui ralentit considérablement la recherche et limite la pertinence des résultats. Pour remédier à cette situation, Bénédicte a participé à la refonte de la base de données nationale de gestion des connaissances, partagée par tous les établissements et professionnels de la neurologie en France, afin d'y inclure un large éventail d'informations utiles, médicales et non médicales, y compris des données socio-économiques. Elle rend cette mine d'informations accessible aux laboratoires de recherche privés et publics, y compris les informations pertinentes sur les patients en phase précoce. Elle permet ainsi aux laboratoires de recruter des patients pour leurs protocoles de recherche et accélère considérablement le développement de solutions médicales : grâce à elle, le nombre de patients inclus dans des protocoles de recherche a plus que triplé entre 2007 et 2011, pour atteindre plus de 4 000.
Bénédicte a piloté son modèle en région parisienne. A ce jour, 161 neurologues sur les 200 que compte la région participent à Alois, et la plupart d'entre eux s'appuient sur les neuropsychologues pour réaliser les tests de détection, alors qu'auparavant ils ne jouaient aucun rôle dans la phase de diagnostic. Bénédicte encourage également l'ouverture de centres de mémoire où neurologues et neuropsychologues collaborent en dehors de l'hôpital pour le diagnostic et la prise en charge des patients. Cela a permis à Alois de prendre en charge plus de 6 000 patients et 2 000 aidants au cours des huit dernières années. Bénédicte identifie des neurologues et des neuropsychologues dans toute la France qui peuvent reproduire son approche et étendre son réseau dans d'autres régions de France, comme c'est déjà le cas dans le Nord et le Sud-Est. Ses publications médicales et ses interventions publiques suscitent de l'intérêt dans toute l'Europe, et elle a été contactée par des neurologues en Suède. Elle souhaite maintenant démontrer les économies réelles réalisées grâce à son approche au régime national d'assurance maladie et aux compagnies d'assurance privées afin de rendre les remboursements systématiques et d'encourager l'investissement dans tout le pays et au-delà.
La personne
Bénédicte est née et a grandi dans la campagne algérienne, où sa passion pour les animaux l'a amenée à rêver de devenir vétérinaire. Mais son expérience de la lutte pour l'indépendance et de la guerre a radicalement transformé son parcours : voir tant de souffrance l'a orientée vers la médecine humaine. Elle assiste à la destruction complète de son environnement physique : toutes les églises et les bâtiments qu'elle avait connus sont effacés. Il ne lui reste que ses souvenirs, et elle comprend très vite que sans mémoire, l'homme n'a pas d'identité et ne peut pas se reconstruire. Bénédicte décide alors d'étudier la neurologie et de se consacrer à l'aide à la préservation et à la récupération de la mémoire.
Brillante étudiante en médecine à Paris, Bénédicte décide d'explorer la médecine dans d'autres parties du monde et demande le droit de passer une année dans une université américaine. À l'époque, il n'existait pas de programme d'échange dans le domaine médical et le doyen de son université lui a simplement permis de prendre un congé sabbatique ; elle est arrivée à Washington DC et a visité tous les hôpitaux et universités de la ville, où elle a conçu son propre programme et a réussi à travailler sur des projets de recherche passionnants. À son retour, son doyen est tellement impressionné qu'il lui accorde un crédit pour son année sabbatique.
Une fois diplômée, Bénédicte entre naturellement dans un service de neurologie d'un hôpital parisien et est choquée de découvrir l'inefficacité du système. Elle est particulièrement révoltée de voir que les patients et les familles sont si peu pris en compte. Bénédicte lance l'idée d'une autre pratique de la consultation mémoire, mais ses propositions sont sans cesse écartées du budget de l'hôpital. En 2004, elle quitte l'hôpital et fonde Aloïs.